DOI

Submissão: 04/04/2020 Aprovação: 04/04/2020 Publicação: 15/04/2020

 

 

Dossiê O Parmênides, de Platão

 

Plotin et l’argument du troisième homme

 

Plotinus and the third man argument

 

Luca Pitteloud

Professor de Filosofia da Universidade Federal do ABC, São Bernardo do Campo, SP

 luca.pitteloud@ufabc.edu.br

 

Resumé: Cet article se propose de poser la question d’une éventuelle position de Plotin à propos de l’Argument du Troisième Homme (TMA): d’abord, nous examinerons s’il est possible d’attribuer à Plotin une position quant au TMA tel qu’il apparaît dans le Parménide, en particulier en ce qui concerne la prémisse qui affirme l’auto-prédication (self-predication - SP) des Formes. Ensuite, nous envisagerons brièvement comment la question du rapport de l’âme au corps, peut, dans une certaine mesure, permettre de mieux comprendre pourquoi Plotin ne prend pas la peine de fournir une objection explicite au TMA. Finalement, nous analyserons comment la théorie des deux sortes de ressemblance assène un coup fatal à l’esprit du TMA.

Mots- clefs: Plotin; Troisième Homme; Métaphysique; Formes intelligibles

 

Abstract: This paper proposes to pose the question of a possible position of Plotinus with regard to the Argument of the Third Man (TMA): first, we will examine if it is possible to attribute to Plotinus a position as regards TMA such as it appears in the Parmenides, in particular with regard to the premise which affirms the self-predication (SP) of the Forms. Next, we will briefly consider how the question of the soul-body relationship can, to some extent, provide a better understanding of why Plotinus does not bother to give an explicit objection to TMA. Finally, we will analyze how the theory of two kinds of resemblance strikes a fatal blow to the spirit of TMA.

Keywords: Plotinus; Third Man; Metaphysics; Intelligible Forms

 

Introduction

 

Plotin considère que la méthode la plus adéquate afin de progresser dans une recherche philosophique consiste à poser un problème et tenter ensuite de le résoudre[1]. Cette approche conditionne la façon dont il va aborder son interprétation des dialogues de Platon. En abordant une aporie particulière, Plotin ne va pas hésiter à faire intervenir des questions distinctes, abordées dans différents dialogues, dans la mesure où des thématiques voisines lui apparaissent comme pertinentes afin de résoudre les apories introduites par Platon dans ses écrits. Ce présupposé fondamental quant à la façon dont Plotin se propose d’entreprendre sa propre philosophie implique qu’il sera légitime de chercher dans les Ennéades comment ce dernier tente de résoudre certains des problèmes majeurs du Platonisme dont deux des plus importants sont sans doute a) la relation entre le sensible et l’intelligible et b) le rapport entre le corps et l’âme. A ce titre, il apparaît important de noter que pour Plotin i) les deux problèmes (celui de la séparation et celui du dualisme) sont intimement liés et ii) ces deux problèmes sont considérés comme récurrents et réapparaitront de façon transversale dans le cadre d’une étude allant de la métaphysique à l’éthique. Une division trop rigoureuse des arguments développés par Plotin aurait comme conséquence de ne pas entrer pleinement dans la complexité de sa pensée.

Ainsi donc, un des problèmes les plus cruciaux du Platonisme est la question de rapport entre le sensible et l’intelligible, problème qui est développé dans les dialogues au moyen de l’introduction de différentes apories: qu’est-ce que la participation[2]? Comment la notion d’imitation peut-elle être comprise en tant que caractérisant la relation entre le sensible et l’intelligible[3]? Quelles sont les propriétés partagées entre un modèle et ses images[4]? En quel sens les Formes sont-elles séparées des particuliers[5]? Le Parménide, et en particulier sa première partie, apparaît comme une source importante quant à la façon dont ces questions sont envisagées par Platon lui-même, puisqu’il y développe une série d’objections permettant de mettre en évidence certaines des difficultés qu’il semble falloir imputer à l’hypothèse des Formes. Que ces critiques ne soient pas fatales semble garanti par le fait qu’une version paradigmatique de l’hypothèse des Formes réapparaît dans le Timée[6], dialogue qui en toute vraisemblance a été écrit par Platon dans les dernières années de sa vie[7]. Parmi les objections présentées contre l’hypothèse des Formes dans la première partie du Parménide, l’argument du Troisième Homme (TMA) est sans doute celui qui a connu la plus grande postérité, puisqu’il a généré un débat important, non seulement déjà dans l’Antiquité[8] mais aussi dans la littérature secondaire contemporaine[9]. Platon n’a pas fourni, dans les dialogues, de solution explicite au TMA et nombres de ses successeurs et de ses disciples, à commencer par Aristote, se sont penchés sur cette argument qui semble impliquer, à partir de la postulation d’une Forme F, la nécessité de postuler un nombre infini de cette même Forme.

Il est particulièrement intéressant noter que Plotin ne cite pas une seule fois le TMA dans les Ennéades. Pourtant, ce dernier fait explicitement référence à certaines des apories de la première partie de Parménide: par exemple, quant à la question de savoir quelle est l’extension des Formes (130b-e), Plotin prend position à propos de l’existence de Formes comme celle de la boue ou des cheveux (Voir Enn. VI, 7, 10[10] et V, 9, 14[11]). A propos du dilemme de la participation (130e-131d), il semble possible de trouver des réflexions explicites à ce sujet dans certains traités[12]. En revanche, aucune allusion ou mention du TMA n’est faite par Plotin dans ses écrits. Est-ce parce qu’il considère le TMA comme un argument tellement mauvais (donc incorrect, puisqu’il s’agit d’une déduction) qu’il ne prend même pas la peine de le commenter? En tous cas, puisque le TMA repose sur certaines prémisses axiomatiques de l’hypothèse des Formes, et même en l’absence d’une discussion critique de cet argument, il serait sans doute possible, et peut-être même pertinent, d’examiner comment Plotin pourrait répondre au TMA. Deux possibilités pourront émerger de cette analyse: soit Plotin pense que Platon possède les ressources nécessaires pour désarmer le TMA au moyen des prémisses de l’hypothèse des Formes telles qu’elles apparaissent dans les dialogues, soit Plotin va se servir de ses propres développements philosophiques, introduits dans le cadre de sa tentative de résolution des principales apories qui de trouvent dans les dialogues, afin de fournir une argumentation, en creux, qui rendrait fausse(s) une ou plusieurs des prémisses du TMA.

Dans le cadre de cet article, trois pistes seront explorées: d’abord, il faudra examiner s’il est possible d’attribuer à Plotin une position quant au TMA tel qu’il apparaît dans le Parménide, en particulier en ce qui concerne la prémisse qui affirme l’auto-prédication (self-predication - SP) des Formes. Ensuite, nous examinerons brièvement comment la question du rapport de l’âme au corps, peut, dans une certaine mesure, permettre de mieux comprendre pourquoi Plotin ne prend pas la peine de fournir une objection explicite au TMA. Finalement, nous analyserons comment la théorie des deux sortes de ressemblance assène un coup fatal à l’esprit du TMA.

 

1. Plotin, le TMA, l’auto-prédication

 

1.1. Le premier TMA

 

Parménide introduit ainsi le TMA:

Voici, j’imagine, à partir de quelle considération tu en viens à poser que chaque Forme («εδος») est une. Chaque fois que plusieurs choses te paraissent être grandes, cest je suppose, une seule Forme («δέα»)[13], qui t’apparaît être la même, lorsque tu les embrasses toutes du regard; voilà pourquoi tu estimes que le Grand est unique[14] (trad. Brisson).

Parménide pose ici la question de l’unicité des Formes: si l’hypothèse des Formes implique que plusieurs particuliers sensibles participent à une Forme unique, alors il semble y avoir le problème suivant:

Eh bien, le Grand en soi et ces autres choses que sont les choses grandes, suppose que, de la même façon, avec les yeux de l’âme, tu les embrasses toutes du regard. N’est-ce pas que de nouveau, apparaîtra quelque chose d’unique qui est grand, et en vertu de quoi ces mêmes choses dans leur ensemble apparaîtront nécessairement grandes[15] ?

L’argument est le suivant: si plusieurs particuliers x, y et z possèdent en commun la propriété f, alors:

1)                 les particuliers x, y et z participent à la Forme F qui est unique[16];

2)                 Par 1), les particuliers possèdent la propriété f[17];

3)                 La Forme F possède la propriété f[18];

4)                 Les particuliers x, y et z, ainsi que la Forme F, possèdent la propriété f;

5)                 Si des objets quelconques ont une propriété commune, c’est en vertu de la participation à une Forme[19]. Mais La Forme F ne peut pas posséder la propriété f en raison d’une participation à elle-même[20];

6)                 Les particuliers et la Forme F possèdent la propriété f en vertu de la participation à une Forme commune F2;

7)                 Le même raisonnement va se poursuivre à l’infini.

Pour Vlastos, si cet argument représente un «record of honest perplexity», c’est parce que la self-predication est incompatible avec l’affirmation de la Non-Identity. Si la Forme F ne participe pas en elle-même, il n’est pas possible de justifier la raison pour laquelle cette Forme est f.

Cependant, il est possible de défendre l’idée que le TMA[21] doit être rejeté car les Formes et les particuliers ne peuvent pas être désignés par les mêmes noms et exemplifiés par des propriétés de façon univoque. Ainsi, il ne serait pas possible de dire que les particuliers x, y et z et la Forme F sont f de la même façon. L’auto-prédication (self-predication) semble être la prémisse la plus problématique. Les prémisses 3, 4 et 5 ne seraient ainsi pas acceptables pour Platon car la Forme F ne possède pas la propriété f, comme c’est le cas des particuliers, mais elle est cette propriété en tant que modèle paradigmatique.

En ce sens, si la Forme F représente la propriété f en tant que modèle appartenant à un degré ontologique supérieur, alors la Forme F et le particulier x qui possède la propriété f sont tous deux f d’une façon radicalement différente, puisque x n’est f qu’en tant qu’image déficiente participant à F et que l’exemplification f de x est, pour ainsi dire, moins réelle que la Forme F. Il semble ainsi ne pas avoir de propriété univoquement commune  à F et x.

Le TMA reposerait ainsi i) sur la non-distinction entre ce que cela signifie que d’être une Forme et ce que cela signifie que d’être un particulier et ii) sur le point de vue qui consiste à faire des Formes et des particuliers deux catégories ontologiques distinctes en attribuant aux Formes les mêmes attributs (le nom, les propriétés et la participation) qu’aux particuliers.

 

1.2. Le deuxième TMA

 

Dans la suite du dialogue, Socrate va fournir une nouvelle tentative de solution aux difficultés égrainées sur son chemin par Parménide:

S: Alors que ces Formes sont comme des modèles qui subsistent dans leur nature, les autres choses entretiennent avec elles un rapport de ressemblance et en sont les copies : en outre, la participation que les autres choses entretiennent avec les Formes n’a pas d’autre explication que celle-ci : elles en sont les images[22].

Apparaît ici l’expression précise du rapport entre les Formes et les particuliers, tel qu’il a été exprimé dans les métaphores de la République. Les Formes sont comme des paradeigmata, dont les particuliers seraient des homoiômata. La ressemblance dont devrait parler Socrate, n’est pas une relation symétrique entre deux objets (avec, par exemple, A ressemble à B, et B ressemble à A, comme c’est le cas entre deux copies d’un même objet), mais une relation asymétrique entre une copie qui tend à ressembler à un modèle. Il existe ici une relation de déficience : une image est l’image d’un modèle et, dans son être même, elle tend à être comme le modèle. En ce sens, l’image ressemble au modèle, mais l’inverse n’est pas vrai puisque le modèle ne tend pas à être comme l’image. Sans cette notion dynamique, la relation image/modèle perd son sens. Or, Socrate laisse Parménide vider cette relation de cet aspect dynamique, ce qui ne manquera pas d’entraîner les mêmes difficultés que celles qui étaient apparues dans le cas de l’argument du TMA. Ce nouvel argument, qui est communément appelé dans la littérature secondaire le « deuxième Troisième Homme » (TMA2), est initié par cette question de Parménide :

Si donc quelque chose ressemble à une Forme, cette Forme peut-elle ne pas être semblable à ce qui lui ressemble, dans la mesure où l’image en question entretient avec cette Forme un rapport de ressemblance ? Ou est-il quelque moyen par lequel le semblable puisse ne pas être semblable au semblable[23] ?

La possibilité d’envisager le lien entre le sensible et l’intelligible de façon asymétrique est proposée à Socrate qui, malheureusement, opère en d8 (ouk esti) le mauvais choix. Il faudrait en effet répondre par l’affirmative à cette question de Parménide, faute de quoi ce dernier aura beau jeu de proposer un argument semblable, dans sa stratégie, au TMA et qui impliquera une démultiplication des Formes à l’infini. En effet, si nous avons deux catégories ontologiques distinctes - les Formes et les particuliers - et que les premières possèdent une qualification commune avec les deuxièmes - à savoir la propriété de leur ressembler en vertu d’un caractère commun -, alors ce caractère commun sera partagé par les Formes et les particuliers et devra être nommé la Forme de la Ressemblance: puisque a ressemble à b et que b ressemble à a, il doit y avoir une Forme R qui est la Forme à laquelle les particuliers et les Formes participent dans la mesure où ils manifestent cette ressemblance réciproque. Dans ce cas de figure, Parménide n’a pas besoin d’insister sur le fait que nous nous retrouvons dans la même situation que lors de l’argument du TMA, un argument que Socrate n’avait déjà pas réussi à désarmer, puisque a, b et R partageront en commun ce même caractère qu’est la ressemblance à. Dès lors, il faudra postuler une nouvelle Forme (R’) justifiant ce caractère commun entre les particuliers et la Forme R.

Il faut bien comprendre ici que cet argument ne repose pas en réalité exclusivement sur la Forme de la Ressemblance, mais cherche à critiquer l’idée selon laquelle les particuliers peuvent ressembler aux Formes en général. En ce sens, sa portée vaut bien pour tous les particuliers et toutes les Formes auxquelles ces derniers ressemblent. Le fait que la relation de ressemblance soit, dans le cadre de cet argument, symétrique implique qu’il faille postuler un caractère commun entre toutes les Formes et les particuliers qui participent en elles. Ainsi, en vertu de la prémisse qui nécessite de postuler une Forme au-dessus d’une multiplicité d’objets qui partagent ce caractère un commun, il est nécessaire de postuler une Forme de la Ressemblance qui sera ensuite démultipliée à l’infini selon le même raisonnement. La différence avec le premier TMA est que le caractère commun initial ne se situe pas ici entre des particuliers, mais entre des particuliers et une Forme. Or, c’est bien parce qu’est présupposée une distinction entre deux catégories ontologiques distinctes et symétriquement séparées - en tant qu’elles se ressemblent symétriquement - que l’argument est généré. Autrement dit, c’est en faisant des Formes et des particuliers deux catégories univoquement comparables l’une à l’autre en termes de propriétés que cette critique est générée.

 

1.3. Plotin et l’auto-prédication

 

Une stratégie commune afin de plaider pour le rejet du TMA consiste à défier les prémisses qui affirment l’auto-prédication (SP) des Formes et l’unité d’une pluralité (OMA) en se servant de la théorie du modèle et des copies telle qu’elle est introduite dans les dialogues[24]. Si cette théorie du modèle ne permet pas de traiter les particuliers et les Formes de façon univoque, alors nécessairement il ne sera pas possible d’affirmer que la Forme F est f, ou que la Forme F est f en fonction d’une participation à une Forme F2 au même sens que les particuliers x, y z participent à F. Est-il possible de déterminer si Plotin regarde la prémisse de l’auto-prédication comme vraie ou fausse? Les deux possibilités ont été défendues à ce propos[25]: Plotin considère-t-il que la Forme F est f au même sens que les particuliers x, y z? Afin de rejeter cette dernière possibilité, Rist cite un passage des Enn. V, 5, 2.23-24 dans lequel Plotin, après avoir déterminé que les Formes ne peuvent pas se trouver en dehors du Nous, affirme: “car on ne saurait trouver rien de plus vrai que la vérité même”[26].

L’affirmation que (la Forme) de la Vérité est ce qu’il y a de plus vrai impliquerait que, dans l’esprit de Plotin, seule la Forme de la Vérité est vraie car elle est réellement ce qu’est la vérité (tautologie), alors que les objets ne seraient vrais que parce qu’ils participent en elle (relation asymétrique). Ainsi, il y aurait un sens spécifique en ce qui concerne l’attribution de la vérité à la Forme de la Vérité, sens différent de celui dont cette propriété est attribuée aux particuliers. Autrement dit, il y aurait i) un sens premier et qui ne s’applique qu’à la Forme de la Vérité et ii) un autre sens dérivé, qui s’applique aux particuliers. Comme il s’agit d’une équivocité de sens, Plotin ne pourrait pas, en conséquence, accepter l’auto-prédication.

Comme le relève Fiedler[27], il s’agit d’une interprétation partiale et hors contexte de cette phrase: l’objectif de Plotin dans ce passage est d’argumenter en faveur de la thèse qui garantit que la connaissance n’est possible que si le Nous est identique avec les objets de connaissance et que, par conséquent, il ne peut exister un standard de vérité extérieur au Nous, car si cela était le cas, ce standard devrait être plus vrai que la vérité. En outre, la phrase ne doit pas forcément être interprétée dans le sens que lui confère Rist puisque Plotin choisit expressément l’usage d’une comparatif (alêthesteron), ce qui semble bien impliquer que la différence entre la Vérité et les particuliers qui exemplifie cette propriété est en réalité une différence de degrés. La Vérité est vraie au degré d, le plus élevé, alors que les autres objets ne le sont qu’à des degrés d-n inférieurs, mais cependant au même sens du terme vrai[28]. Ainsi, il paraît d’emblée difficile de plaider pour un rejet de l’auto-prédication à la lecture de cette phrase.

Plusieurs éléments dans les Ennéades doivent permettre de préciser la position de Plotin quant à l’auto-prédication. La question du partage des propriétés entre le sensible et l’intelligible est centrale chez Plotin. Deux tendances peuvent ainsi être relevées: 1) la différence ontologique radicale entre le sensible et l’intelligible ou 2) la différence entre le sensible et l’intelligible décrite en termes de degrés de pureté.

En faveur de la première thèse, il faut se rappeler comment Plotin distingue entre la Beauté et les belles choses dans le traité sur la Beauté (I, 6, 1) et se demande s’il y a un une cause commune de la beauté pour les objets sensibles et non-sensibles. Si la beauté des corps est liée à une caractéristique sensible (par exemple la symétrie), que faut-il alors dire de la beauté non sensible: “Enfin comment y aura-t-il beauté dans l'intelligence pure [si la beauté n'est que la proportion]?”[29].

Est-il possible d’identifier une cause commune (et donc un sens commun) qui rend beau un corps, une vertu, une science et la Beauté elle-même, ou sommes-nous en face d’une hétérogénéité de beautés? En posant la question de cette manière, il semble difficile de pouvoir affirmer que la Beauté intelligible soit belle au même sens que la beauté qui se trouve dans les corps.  En ce sens, l’auto-prédication devrait être rejetées, puisque, par exemple, la Forme de l’Homme n’est pas un homme au même sens que Socrate l’est ou la Forme du Rouge n’exemplifie par la couleur rouge comme le drapeau de la Suisse l’exemplifie. Pourtant, les choses se compliquent, si nous nous interrogeons sur la façon dont, pour Plotin, un objet sensible participe à une Forme. Pour ce dernier, la participation doit se comprendre en tant que présence immanente de la Forme dans le particulier. Or c’est en raison de la présence de la Forme F dans le particulier x, que ce dernier est une image de la Forme F.

En suivant sur ce point précis la métaphore du Timée, Plotin pense que l’univers sensible est une copie dans la matière (hulê) des Formes qui se situent dans le Nous (I, 6, 3), et cela doit se comprendre, métaphoriquement, comme la diffusion de ce qui est concentré dans un espace étendu et diffus (V, 1, 6, 35 et s.), du simple vers le multiple. A ce titre, Plotin élabore la théorie de la double causalité exprimée ainsi:

Comment donc faut-il concevoir la génération de l'Intelligence par cette Cause immobile? C'est le rayonnement d'une lumière qui s'en échappe alors qu’elle reste immobile, semblable à la lumière resplendissante qui entoure le soleil et qui est sans cesse générée par cette substance qui demeure inchangée. Ainsi toutes les choses qui sont, tant qu'elles subsistent, tirent nécessairement de leur propre essence et produisent au dehors une certaine nature qui dépend de leur puissance et qui est l'image de l'archétype dont elle provient. Ainsi le feu répand la chaleur hors de lui ; la neige répand le froid. Les parfums donnent un exemple frappant de ce fait : tant qu'ils durent, ils émettent des exhalaisons auxquelles participe tout ce qui les entoure. Tout ce qui est arrivé à son point de perfection engendre quelque chose[30] (V, 1, 6.27-38).

Ainsi donc, pour Plotin, à partir du plus simple, dans le cas du Nous, les Formes vont se diffuser et se retrouver présentes dans la matière afin de former des images sensibles de l’intelligible. La singularité de cette doctrine, qu’il faudrait mieux détailler pour tenter de lui rendre toute sa subtilité, possède une conséquence importante pour notre problème : c’est la même Forme F qui se trouve de deux façons différentes, soit en elle-même et par elle-même dans le Nous, soit dans le sensible en tant que dérivée du Nous et apparaissant dans la matière. La différence sera bien une différence de degré qu’il faudra comprendre pour Plotin comme une différence de ce qui est le plus pur (la Forme dans le Nous) vers le moins pur/le plus dilué (la Forme dans la matière).

Cette vision de la participation recèle une conséquence importante pour la question de l’auto-participation : la même Forme F peut être qualifiée de f de deux façons différentes (degrés) mais dans le même sens : soit en tant qu’elle est et coïncide pleinement avec elle-même en tant qu’elle se trouve dans le Nous, soit en tant qu’elle se trouve comme un reflet qui apparaît dans la matière. Au final, il semble que la Forme F et le sensible x qui participent à F sont f de façon univoque mais à des degrés différents.

Cependant la question de l’auto-prédication n’est pas réellement tranchée dans la mesure où il faudrait comprendre ce que la présence de la Forme dans la matière entraîne en ce qui concerne la différence de degrés de la propriété f, puisqu’il est en effet possible de se demander si le vocabulaire de la diffusion (ou émanation) qui illustre l’idée de dérivation causale n’entraîne pas une sorte de dénaturalisation de la propriété, en particulier lors du passage du Nous à la nature sensible ? Autrement dit, la différence entre le rouge dans le Nous et le rouge matérialisé, s’il s’agit bien d’une différence de degrés, n’entraine-t-elle pas une modification de la propriété rouge de façon à ce qu’il serait plus pertinent de parler de la ressemblance entre deux propriétés ontologiquement différentes plutôt que de deux degrés de la même propriété? En somme, la matérialisation de l’intelligible ne cause-t-elle pas, lors de la dérivation de la nature sensible à partir du Nous, une telle modification du statut ontologique de la propriété f qu’il ne serait plus légitime de parler de f dans un sens univoque en tant qu’appliqué i) à la Forme F et ii) au particulier x? Afin de répondre à cette interrogation, il faut déterminer comment Plotin décrit l’immanence des Formes et comment comprendre la présence de la Forme F dans le particulier x?

 

2. La résolution de l’aporie de la participation au moyen de l’analyse de la relation entre l’âme et le corps

 

Afin de résoudre la délicate question du rapport du sensible à l’intelligible, Plotin convoque la question de la relation de l’âme au corps. Si les deux problèmes sont certes différents, ils recèlent pourtant une difficulté commune, à savoir: comment une entité immatérielle peut-elle se situer dans un certain rapport avec le corporel ? Dans le cas du rapport entre le sensible et l’intelligible, la question cruciale est la suivante: comment la même Forme intelligible peut-elle se trouver dans différents particuliers sensibles (sans perdre son identité propre soit en démultipliant soit en se divisant en parties, comme le souligne le dilemme de la participation du Parménide en 130a-131d)? En ce qui concerne l’âme, la difficulté provient du fait qu’il ne paraît pas aisé de localiser l’âme dans le corps. Se divise-t-elle de façon à ce que ses différentes parties occupent différents lieux du corps? Pour Plotin, il faut veiller, dans les deux cas, à ne pas commettre une confusion conceptuelle qui consisterait à traiter les objets non matériels comme des objets matériels[31]. En somme, il ne faut pas confondre les propriétés du sensible et de l’intelligible:

Comme la raison humaine qui entreprend d'examiner la question soulevée ici n'est pas elle-même une, mais divisée, et qu'elle considère dans ses recherches la nature des corps, en empruntant ses principes parmi les corps, elle divise aussi la réalité, parce qu'elle la croit semblable aux corps, et elle arrive ainsi à douter de l’unité de la réalité : il n'en saurait être autrement, puisqu'elle ne débute pas son investigation par les principes appropriés. (VI, 5, 2. 1–6)[32].

Ainsi Plotin va suggérer que les propriétés qui sont attribuées aux objets non-sensibles (à l’âme ou aux Formes) ne peuvent pas être les mêmes que celles attribuées aux objets sensibles. La présence de l’âme au corps sert à illustrer cela:

Ainsi, cette nature à la fois divisible et indivisible, que nous appelons âme, n'est pas une comme le continu [qui a ses parties les unes hors des autres] : elle est divisible en tant qu’elle est dans toutes les parties de ce en quoi elle se trouve ; et elle est indivisible, parce qu'elle est toute entière dans ce en quoi elle se trouve et dans chacune de ses parties. (IV, 2, 1.59-66)[33].

Si les objets sensibles ne peuvent pas être à différents endroits en même temps, cette restriction ne s’applique ni à l’âme ni aux Formes intelligibles. Les objets sensibles ont différentes parties qui occupent différents espaces, mais aucune de ces parties ne peux être à plusieurs endroits en même temps. Or, en ce qui concerne les objets intelligibles ou l’âme, cette restriction ne s’applique pas: ils peuvent être tout entier à différents endroits. L’âme ne consiste pas, au contraire des objets sensibles, en un tout formé de parties spatialement distinctes, dont chacune des parties devrait occuper un seul espace. Elle peut tout entière occuper les différentes parties et organes du corps. De façon analogue, c’est ainsi qu’il faut comprendre la présence des Formes dans les particuliers:

 Ainsi donc, si ce qui est divisé et étendu peut participer à un genre différent (ou plus généralement peut participer à autre chose), la chose à laquelle il participe doit n'être ni divisée ni étendue, n'avoir absolument aucune espèce de quantité. Il faut, par conséquent, que ce qui peut être présent par participation soit partout présent en demeurant indivisible (...)[34] (VI, 4, 13.14-19).

En raison de cette omniprésence indivisible, l’intelligible va donner ses caractéristiques ordonnées à la matière en tant qu’il se trouvera présent tout entier dans les sensibles qui participent en lui. Cependant, en tant que tel, l’intelligible ne se divisera point lorsqu’il entrera dans la matière. Ce mode d’être singulier est défini ainsi:

Si cela c’est l'être intelligible réel, qui reste identique, qui ne s'écarte jamais de lui-même, qui n'admet aucune génération et n'est pas dans un lieu, il est nécessaire qu’il reste toujours en lui-même, qu'il n'ait pas de parties éloignées les unes des autres, placées les unes ici et les autres là, qu'il ne sorte pas de lui-même, ce qui le conduirait sinon à être en une chose et en une autre, à se trouver en général en quelque chose, par conséquent à ne plus demeurer en lui-même, et à ne plus rester impassible : car s'il était dans une chose autre que lui-même, il subirait une affection ; or, comme s’il est impassible, il ne doit pas se trouver dans une autre chose. (VI, 5, 3.1–8)[35].

Ainsi Plotin décrit l’intelligible comme ce qui, coïncidant pleinement avec lui-même, ne dépend de rien d’extérieur et se suffit complètement à lui-même, ce qui contraste avec le corporel qui est dispersé et ne possède d’aucune façon la stabilité de l’être supérieur. En ce sens, la notion clé pour comprendre le concept de présence de l’intelligible dans le sensible est le concept de dépendance. En effet, A est dans B peut signifier A se trouve spatialement/localement dans B, mais aussi A dépend de B. Plotin fait référence ici de l’affirmation du Timée en 36d-e à propos de la relation entre l’âme et le corps du monde : Platon y affirme que le corps du monde se trouve dans l’âme du monde, ce qui, aux yeux de Plotin est une manière de mettre en évidence la dépendance du corps par rapport à l’âme. Evidemment, lorsque Timée affirme que le démiurge place le corps du monde dans l’âme du monde, il s’agit d’un vocabulaire métaphorique que Plotin fait sien au moyen d’autres images:

L'univers est en effet dans l'Âme qui le contient, et rien n’est sans prendre part à l’âme : comme la vie d’un filet plongé dans la mer qui ne serait pas capable de posséder ce par quoi il est entouré. Mais ce filet s'étend autant qu'il le peut avec la mer qui elle-même est déjà étendue : car aucune de ses parties ne saurait être ailleurs que là où est la mer. Quant à l'Âme, elle est si grande par nature, elle n'a en effet pas de grandeur déterminée, qu'elle embrasse le corps dans sa totalité et de la même façon ; elle est présente partout où le corps s'étend. (IV, 3, 9.36–44)[36].

Plotin suggère donc qu’il ne faut pas considérer que l’âme se trouve dans le corps, mais au contraire que le corps soit dans l’âme, car le corps dépend de l’âme. Selon le même raisonnement, cette idée doit être appliquée à la relation entre le sensible et l’intelligible. La Forme F ne se trouve pas dans le sensible x, mais c’est bien ce sensible x qui se trouve dans la Forme F, car, en tant que réalité éparse et sans permanence, il dépend de la Forme F pour être ce qu’il est. Plotin semble ainsi concevoir la relation entre les objets sensibles et les Formes[37] comme celle d’une entité matérielle qui dépend de ce qui est autarcique et autosuffisant. A ce titre, pour échapper au dilemme de la participation du Parménide, il faut noter que l’exemple du jour proposé par Socrate (131a-b) est tout à fait acceptable dans la mesure où il s’agit d’une métaphore qui ne devrait pas être comprise dans un sens matériel : le 21 juin, par exemple, correspond au même jour en Suisse et au Brésil.

La façon dont Plotin décrit d’abord la relation entre l’intelligible et le sensible en termes de dérivation de l’un (le sensible) à partir de l’autre (Nous), et ensuite la relation de dépendance qu’il décrit de l’un (le sensible) envers l’autre (Nous) permettent de mettre en évidence une idée fondamentale: les développements qu’il propose en ce qui concerne la question de la présence immatérielle et de la théorie de la copie et du modèle semblent permettre de proposer une résolution explicite du dilemme de la participation. Mais qu’en est-il du TMA? Comme nous l’avons indiqué, la question de l’auto-prédication des Formes dépend de l’univocité ou de l’équivocité de la relation sensible-intelligible, et les deux thèses semblent pouvoir être débusquées dans les écrits de Plotin[38]: en un sens, comme le sensible est une dérivation dissolue du Nous, il doit manifester, à un degré inférieur, les propriétés de l’Intellect divin. Néanmoins, cette dissolution se produisant entre deux types de réalités tellement différentes l’une de l’autre que l’univocité des propriétés semble douteuse, à l’image de la différence entre ce qui est corporel et possède des parties matérielles et ce qui ne l’est pas et peut se trouver tout entier dans plusieurs objets sensibles sans souffrir de quelque division que ce soit. En somme, la différence radicale de degrés entre l’intelligible et le sensible semble au final plaider pour une certaine méfiance par rapport à un éventuel soutient de Plotin à l’idée d’auto-prédication. En tous cas, l’argument de l’unité d’une pluralité (One over many argument OMA) ne pourra que difficilement être endossé par Plotin puisqu’il est clair que, pour ce dernier, comme pour Platon, ce sont les particuliers qui en tant que réalités dépendantes participent à une Forme F, alors que cette Forme ne devra aucunement dépendre d’une autre Forme F2. Cela ne revient évidemment pas à dire que F ne doit pas dépendre d’autres Formes (comme peut-être des Genres de l’Etre, du Même et de l’Autre), de la Forme du Bien et, pour Plotin, de l’Un.

 

3. Plotin et la question de la ressemblance

 

Afin de tenter de déterminer avec plus de précision la position de Plotin par rapport au TMA, il reste encore un domaine d’investigation possible, à savoir la façon dont ce dernier considère la relation de ressemblance entre un modèle et ses images. Un exemple intéressant de cette relation se trouve dans le traité sur les vertus (Ennéades, I, 2). La question posée au début de ce traité est la suivante: “Si donc nous nous assimilons par la vertu, serait-ce une assimilation à un dieu qui possède la vertu? Et d’ailleurs à quel Dieu?”[39].

La question de l’assimilation à dieu (homoiôsis theôi) pose certaines difficultés à Plotin lorsqu’il examine dans ce traité si certaines vertus, comme les vertus civiques peuvent appartenir à Dieu. Il semble raisonnable de les attribuer ni à l’âme du monde[40], ni au Nous, et donc il apparaît absurde de vouloir, a plus forte raison, les attribuer à Dieu[41]. Pour résoudre cette aporie, Plotin propose la solution suivante: il est possible pour A de s’assimiler à B au moyen de la possession par A de certaines vertus sans que B possède ces vertus, tout en maintenant que B est le modèle de A en ce qui concerne ces vertus. Dans ce contexte, Plotin développe la théorie des deux ressemblances[42]. Si la distinction entre vertus pratiques et théoriques, à travers l’analyse d’une échelle des vertus, pourrait peut-être permettre d’échapper à ce problème, Plotin se propose d’explorer cette aporie en l’associant à une question plus générale: l’assimilation (homoiôsis) implique-t-elle la ressemblance[43]? La façon dont Plotin va décrire l’assimilation lui permettra de maintenir une théorie du modèle et de la copie qui n’attribuera pas les propriétés du sensible à l’intelligible. Voici donc la solution proposée:

(...) rien n’empêche que sans que nous soyons assimilés aux vertus, nous soyons assimilés par nos vertus, à celui qui ne possède pas de vertu. Mais comment ? Comme ceci. Si quelque chose est chauffé par la présence de la chaleur, faut-il aussi que ce dont est provenue la chaleur soit chauffé, lui aussi ? Et si quelque chose est chaud par la présence du feu, faut-il aussi que le feu lui-même soit chauffé par la présence du feu ? Mais quelqu'un pourrait dire, quant au premier exemple, que la chaleur fait partie aussi de l'essence du feu, mais en tant qu'elle est connaturelle au feu, de sorte que l'explication consécutive à la comparaison <avec la chaleur> ferait de la vertu quelque chose d'adventice à l'âme, mais de connaturel à celui d'où l'âme la tient en l'ayant imité[44]. 

L’argument de Plotin est le suivant : un objet A peut devenir semblable à un objet B au moyen d’un attribut P qui n’est pas possédé par B. Si un corps A est rendu chaud par un objet B au moyen de la chaleur C que B transmet à A, alors A possèdera la propriété d’être chauffé par B, qu’il faut appeler PCB. Or B ne possède évidemment pas PCB et de ce point de vue n’est pas semblable à A, pourtant c’est bien B qui fournit la chaleur à A et qui est la cause de la possession de PCB par A[45]. Ainsi, la cause du réchauffement de tout corps est le feu, F, qui transmet au corps en question la propriété d’être chauffé par le feu (PCF), propriété que F ne possèdera pas. En somme, A et B, s’assimilent (deviennent semblables) à F au moyen de PCF, une propriété qu’ils possèdent et que F ne possède pas.

Plotin peut conclure:

Or les deux sont différents <ce dont participe l’âme et ce dont provient la participation> : car la maison que l'on perçoit n'est pas identique à la maison intelligible, bien qu'elle s'y soit assimilée. En effet, la maison perceptible participe à l'arrangement et à l'ordre, alors que là-bas, dans le principe formel, il n’y a ni arrangement, ni ordre, ni proportion. C'est donc ainsi que lorsque nous participons à l'ordre, à l'arrangement et à l’accord, qui viennent de là-bas et appartiennent à la vertu ici-bas, tandis que les choses de là-bas n’ont besoin ni d’accord, ni d'ordre, ni d’arrangement, ni besoin, sans doute, de vertu, nous n’en sommes pas moins assimilés à ceux de là-bas par la présence de la vertu[46].

Plotin veut montrer par cet exemple que dans le cas de la participation d’un objet sensible X à une Forme intelligible F, il est possible d’obtenir une relation d’assimilation (homoiôsis) de X envers F, mais non de ressemblance ou similitude (homoiotês) entre X et F. X représente une manifestation sensible, dans l’espace et dans le temps, de F, qui elle-même, en tant que réalité intelligible, est le modèle de X se situant en dehors du temps et de l’espace. La différence radicale entre X et F, implique qu’il n’est pas possible de trouver, par exemple, des vertus au niveau de F, mais seulement des modèles intelligibles de X. Plotin poursuit en distinguant deux espèces d’assimilation (homoiôsis):

L’assimilation est double : l'une requiert le même dans les choses semblables, celles qui se sont assimilées à titre égal à partir du même. Dans les cas, cependant, où une chose est assimilée à une autre, alors que celle-ci est première, non convertible avec celle-là et n’est pas dite être son semblable, dans ce cas il faut comprendre l'assimilation d'une autre manière, requérant, non pas une forme identique, mais plutôt une forme différente, si toutefois l'assimilation se fait selon cette autre manière[47].

La relation d’assimilation (homoiôsis), dynamique d’un objet A envers un objet B aura comme conséquence l’émergence d’une similitude (homoiotês), propriété statique que l’objet qui va s’assimiler sera amener à posséder. Pourquoi donc distinguer deux types d’assimilation? Car dans le cadre d’une relation comme celle de la ressemblance, telle qu’elle apparaît dans le TMA2, il y a deux façons de concevoir cette même relation: soit comme symétrique (en s’assimilant à B, A ressemble à B et B ressemble à A), soit comme asymétrique (en s’assimilant à B, A ressemble à B et B ne ressemble pas à A.). Plus précisément, il semble falloir remplacer la relation symétrique être semblable à (homoion) par la relation asymétrique devenir semblable à (homoiousthai). Dans ce deuxième cas, le fait que X ressemble à F, en ce qui concerne la propriété f, n’implique pas que F ressemble à X, toujours en ce qui concerne cette même propriété. Si A est rendu chaud par B, cela n’implique pas que B soit rendu chaud par A. L’assimilation possède donc deux faces : soit elle est conçue comme symétrique (deux images se ressemblent (comme deux réflexions d’un modèle dans un miroir, par exemple), il s’agit d’un cas d’une ressemblance symétrique statique ; soit elle est pensée comme asymétrique (ressemblance dynamique de l’image dans un miroir qui s’assimile à son modèle).

 

4. Conclusion

 

Le modeste parcours proposé ici aura permis de mieux comprendre ce que pourrait être la position de Plotin à propos de certaines critiques de l’hypothèse des Formes telles qu’elles apparaissent dans la première partie du Parménide. Il semble qu’entre la thèse de l’univocité du sensible et de l’intelligible, et celle de l’équivocité, Plotin soit amener à défendre la seconde dans le cadre de son interprétation de la philosophie de Platon. S’il faut reconnaître, d’un côté, que la vision émanantiste proposée par Plotin dans ses Traités plaide pour une différence de degrés entre l’intelligible et le sensible, cette vision est cependant décrite au moyen d’un vocabulaire métaphorique qu’il ne faut sans doute pas prendre au pied de la lettre. En outre, la manière dont Plotin élabore une tentative de solution quant à l’aporie de la participation du sensible à l’intelligible i) en se servant de l’exemple de la présence de l’âme au corps et ii) en analysant la présence de A dans B qu’il faut comprendre comme la dépendance de A envers B, suggère que, pour ce dernier, il faille considérer le sensible et l’intelligible comme deux réalités radicalement différentes, possédant des propriétés hétérogènes. La convocation du deuxième traité de la première Ennéade sur les vertus a montré à quel point Plotin considère la relation de modèle à image, telle qu’elle s’applique à la relation entre l’intelligible et le sensible, comme impliquant un lien dynamique d’assimilation faisant du modèle M la cause de l’attribution d’une propriété F à ses images I (x, y, z), sans que M ne possède la propriété en question. Cette vision du modèle implique une différence ontologique fondamentale entre M et I, permettant tout de même l’assimilation de I à M, ce qui doit entraîner comme conséquence la ressemblance de I à M, et non l’inverse.

Un tel raisonnement semble bien suggérer que, dans le cas du TMA, Plotin ne pourrait aucunement accepter deux de ses prémisses, à savoir le OMA et la SP, dans la mesure où la relation entre M et I implique uniquement la dépendance de I pour M (et non de M pour M2) et proscrit la possibilité d’attribuer la propriété f, qui caractérise I, à M.

Dans de nombreux écrits, Plotin apparaît combattre, parfois implicitement et parfois explicitement, l’esprit des critiques de la première partie du Parménide. Cependant, comme nous l’avons relevé, jamais il ne cite le TMA. Si les réflexions de Plotin sur la présence immatérielle et la théorie de la relation entre un modèle et des images semblent pouvoir désarmer cet argument, il faut noter que ce que Plotin ne mentionne jamais, c’est bien la logique de régression à l’infini qui se trouve au coeur du TMA. Cela n’est peut-être pas un hasard si la seule référence qui soit faite à un « troisième homme » dans les Ennéades (VI, 7, 6)[48] se situe dans le cadre d’une dérivation descendante de l’homme dans le Nous à l’homme sensitif en passant par l’homme rationnel. Rien ne serait, en effet, plus étranger à la pensée de Plotin que d’opérer une dérivation ascendante à partir du sensible vers l’intelligible, selon un mode allant de la simplicité à la pluralité. Pour Plotin, c’est tout le contraire, puisque l’Un, principe suprême, introduit au moyen de l’application du principe de la priorité du plus simple, établit que, dans tout mouvement ontologique ascendant, la règle qu’il faille faire valoir est celle qui impose un degré de simplicité supérieur à chaque niveau de l’ascension. Rien n’est donc plus anti-plotinien qu’une logique qui entrainerait une regression à l’infini allant du sensible à l’intelligible puisque, pour Plotin, l’intelligible, à savoir le Nous qui est unifié en tant que dérivé de l’Un, est lui-même le principe unifiant du sensible.

 

 

Références

 

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[1] Voir Enn. III, 7, 1. 7-17 et O’MEARA, Plotinus, p. 10-11.

[2] Phd. 100c9-d8, Prm. 131a8-c11.

[3] R. 506a9-517c5, Ti. 27d5-28b2, Prm. 132d1-4.

[4] Voir PITTELOUD, La séparation dans la métaphysique de Platon, p.127-132.

[5] Voir Prm. 131a8-c5 et Ti. 52b3-d1.

[6] Voir Ti. 27d5-28b2.

[7] Sur ce sujet voir le débat entre OWEN, The Place of the «Timaeus» in Plato's Dialogues et CHERNISS, The Relation of the «Timaeus» to Plato's Later Dialogues

[8] Notamment dans le Peri Ideôn, probablement écrit par Aristote. Voir l’édition de Fine, On Ideas.

[9] Voir VLASTOS, The Third Man Argument in the «Parmenides» et KIM & SOSA, A Companion to Metaphysics, p. 615.

[10]«Les Formes, comme celle de l'homme, doivent renfermer toutes les différences qui leur sont essentielles. Quoiqu'il y ait unité dans toutes ces Formes, il s'y trouve cependant des choses plus ou moins relevées les unes que les autres, l'œil et le doigt par exemple: tous ces organes sont impliqués dans l'unité de l'animal, et ils ne sont inférieurs que relativement à l'ensemble». (Toutes les traductions, sauf indication contraire, des Ennéades sont de M.-N. Bouillet. Des modifications ont été apportées).

[11]«On demandera peut-être encore si le monde intelligible comprend les idées des objets qui proviennent de la corruption, qui sont nuisibles ou désagréables, de la boue et des ordures, par exemple. Voici notre réponse: Toutes les choses que l'Intelligence universelle reçoit du Premier sont excellentes; or, parmi elles, on ne trouve pas les Formes de ces objets vils et sales qu'on a cités; l'Intelligence ne les comprend pas. Mais, en recevant de l'Intelligence les Formes, l'Ame reçoit aussi de la matière d'autres choses, parmi lesquelles se trouvent les accidents dont on parle. Du reste, pour bien résoudre cette objection, il faut recourir au livre où nous expliquons comment de l'Un procède la multitude des Formes»

[12] Voir par exemple, Enn. (V, 5, 9) et (IV, 7, 7). 

[13]Ou «un seul caractère».

[14]Parménide 132a1-4: « Οἶμαί σε κ το τοιοδε ν καστον εδος οεσθαι εναι· ταν πόλλ' ττα μεγάλα σοι δόξ εναι, μία τις σως δοκε  δέα ατ εναι ἐπὶ πάντα δόντι, θεν ν τ μέγα γ εναι ».

[15]Parménide 132a6-8 : «Τί δ' ατ τ μέγα κα τλλα τ μεγάλα, ἐὰν σαύτως τ ψυχ ἐπὶ πάντα δς, οχ ν τι α μέγα φανεται, τατα πάντα μεγάλα φαίνεσθαι; »

[16]C’est parce qu’ils participent à la Forme F qui est différente d’eux que les particuliers possèdent la propriété f. Il s’agit d’un principe appelé dans la littérature anglo-saxonne le « One Over Many Argument ». Voir VLASTOS, The Third Man Argument in the « Parmenides ».

[17]Autrement dit, les particuliers x, y, z sont F.

[18] Platon indique que les particuliers x, y et z, et la Forme du F ont en commun la propriété f. Platon affirme ici que la Forme F possède la propriété f, ce qui semble cohérent avec l’hypothèse générale, puisque la Forme F est identique à (ce que cela est d’être) la propriété f. Dans la tradition interprétative initiée par Vlastos, la notion de self-predication joue un rôle essentiel en ce qu’elle affirme que la Forme F est f. Elle s’appuie sur différents passages de l’œuvre de Platon dans lesquels elle semble bien être affirmée : Prt. 330c et 331b, Phd. 74 b et d, 100c, Hp.Ma. 289c, 291e, 292e, 294a-b, Ly. 2I7a, Smp. 2I0e-211d.

[19] Il s’agit du One Over Many argument. Il est douteux que Platon admette une généralisation de cette thèse, puisque l’analogie de l’image affirme uniquement que les images correspondent aux particuliers et non aux particuliers et aux Formes.

[20] Il s’agit de l’expression de ce que Vlastos (The Third Man Argument in the « Parmenides ») appelle le principe de Non-Identity qui correspond en fait à l’idée qu’il n’est pas possible de justifier l’attribution de la propriété f à la Forme F en affirmant que celle-ci participe à elle-même. Ce principe trouve sa justification textuelle dans la République 476c-d. Il faut noter que cette idée n’est pas explicitement exprimée dans le texte, mais est, selon Vlastos, supposée par Platon. Pour un rejet de cette idée, voir FRONTEROTTA, Methexis, p. 237-238.

[21] Nous suivons ici l’appellation standard commune dans la littérature anglo-saxonne, même si l’origine de cette tradition provient d’Aristote (par exemple Métaphysique 990b17 et Peri Ideôn 83.34-84.7) et non de Platon puisque, dans le texte, il s’agit en fait d’une troisième Forme de la Grandeur.

[22] Prm. 132d1-4 : «τὰ μὲν εδη τατασπερ παραδείγματαστάναιν τφύσει, τδὲ ἄλλα τούτοιςοικέναι καεναι ὁμοιώματα, καὶ ἡ μέθεξις ατη τοςλλοις γίγνεσθαι τν εδν οκλλη τιςεκασθναι ατος». 

[23] Prm. 132d5-7 « Εον τι, ἔφη, ἔοικεν τεδει, οόν τεκενο τεδος μὴ ὅμοιον εναι τεκασθέντι, καθ' ὅσον ατῷ ἀφωμοιώθη; ἢ ἔστι τις μηχαντὸ ὅμοιον μὴ ὁμοίῳ ὅμοιον εναι; »

[24] Voir ALLEN, Participation and Predication in Plato's Middle Dialogues. La source de l’objection est la même : SP et OMA doivent être rejetées car toutes deux considèrent les particuliers et les Formes de façon univoque, alors que selon la théorie du modèle et des copies, les particuliers et la Forme F peuvent être caractérisés f de façon équivoque. Ainsi, il ne serait pas légitime d’affirmer que la Forme F est f au même sens que les particuliers x, y z sont f et SP doit donc être rejetée. De façon similaire, Platon n’affirmerait pas que tout objet qui possèdent la propriété f participent à une Forme F (ou F2, F3 etc.), mais que, en vertu de ce même principe d’équivocité, seulement les objets sensibles qui possèdent la propriété f doivent participer à la Forme F. 

[25] Fielder (A Plotinian View of Self-predication and TMA) pense que Plotin accepte la SP alors que Rist (Plotinus: The Road to Reality) défend l’idée qu’il la rejette.

[26] « (...) ογρλλοληθέστερονν εροις τοῦ ἀληθος (...) » 

[27] FIEDLER, A Plotinian View of Self-predication and TMA.

[28] FIEDLER (1980) page 343.

[29] 53-54 : « Τ δ το νο κάλλος μονουμένου τί ν εη; »

[30] 27-38 : « Πς ον κατί δενοσαι περὶ ἐκενο μένον; Περίλαμψινξ ατοῦ μέν, ἐξ ατοδὲ μένοντος, οονλίου τὸ περατλαμπρνσπερ περιθέον, ἐξ ατοῦ ἀεγεννώμενον μένοντος. Καὶ πάντα τὰ ὄντα, ἕως μένει, ἐκ τς ατν οσίαςναγκαίαν τν περατὰ πρς τὸ ἔξω ατνκ τς παρούσης δυνάμεως δίδωσιν ατνξηρτημένην ὑπόστασιν, εκόνα οσαν οονρχετύπωννξέφυ· πρ μν τν παρ' ατοθερμότητα· καχιν οκ εσω μόνον τψυχρν κατέχει· μάλιστα δὲ ὅσα εώδη μαρτυρετοτο·ως γάρστι, πρόεισί τιξ ατν περατά, ὧν ἀπολαύει ὑποστάντων ὁ πλησίον. Καὶ πάντα δὲ ὅσαδη τέλεια γεννᾷ· »

[31] Sur cette question, voir O’MEARA, Plotinus, p. 24-25.

[32] « Λόγος δὲ ἐπιχειρήσαςξέτασιν ποιεσθαι τολεγομένου οχν τιν, ἀλλά τι μεμερισμένον, παραλαμβάνων τε ες τν ζήτησιν τν τν σωμάτων φύσιν καὶ ἐντεθεν τςρχς λαμβάνων ἐμέρισέ τε τν οσίαν τοιαύτην εναι νομίσας, κατῇ ἑνότητι ἠπίστησεν ατςτε μὴ ἐξρχν τν οκείων τνρμν τς ζητήσεως πεποιημένος. »

[33] «  δ' ὁμο μεριστή τε κα ἀμέριστος φύσις, ν δ ψυχν εναί φαμεν, οχ οτως ς τ συνεχς μία, μέρος λλο, τ δ' λλο χουσα· λλ μεριστ μέν, τι ν πᾶσι μέρεσι το ν στιν, ἀμέριστος δέ, τι λη ν πᾶσι κα ν τον ατο λη. »

[34] « Εον τδιειλημμένον κατὸ ἐκτεταμένον ες τόσονλλου γένους μεταλήψεται ἢ ὅλωςλλου, δετοὗ μεταλαμβάνει μήτε διειλημμένον εναι μήτεκτεταμένον μήτελως ποσόν τι εναι. Ὅλονρα δετὸ παρεσόμενον ατῷ πανταχοῦ ἀμερςν παρεναι, () » 

[35] « Ε δ τ ν ντως τοτο κα σατως χει κα οκ ξσταται ατ αυτο κα γνεσις περ ατ οδεμα οδ´ ν τπ λγετο εναι, νγκη ατ οτως χον ε τε σν ατ εναι, κα μ διεστναι φ´ ατο μηδ ατο τ μν δ, τ δ δ εναι, μηδ προϊναι τι π´ ατο· δη γρ ν ν λλ κα λλ εη, κα λως ν τινι εη, κα οκ φ´ αυτο οδ´ παθς· πθοι γρ ν, ε ν λλ· ε δ´ ν παθε σται, οκ ν λλ. »

[36] « Κεται γρ ν τ ψυχ νεχούσ ατν κα οδν ἄμοιρόν στιν ατς, ς ν ν δασι δίκτυον τεγγόμενον ζη, ο δυνάμενον δ ατο ποιεσθαι ν στιν· λλ τ μὲν δίκτυον κτεινομένης δη τς θαλάσσης συνεκτέταται, σον ατ δύναται· ο γρ δύναται λλαχόθι καστον τν μορίων ὅπου κεται εναι. δ τοσαύτη στ τν φύσιν, τι μὴ τοσήδε, στε πᾶν τ σῶμα καταλαμβάνειν τ ατ, κα ὅπου ν κταθ κενο, κε στι. »

[37] La relation entre le corps et l’âme est décrite au moyen de la dépendance comme aspiration du corps pour l’âme, cette dernière n’ayant pas besoin d’exercer une causalité efficiente sur le corps: Plotin se servira de la causalité finale qu’Aristote développe dans le cadre de son analyse de la relation du vivant pour le premier moteur. Voir O’MEARA, Plotinus, p. 29-32.

[38] Voir à ce propos l’analyse de HUNT, Plotinus Meets the Third Man, pages 119-132.

[39]  I, 2, 1, 5-6 : « Ε ον ρετ μοιομεθα, ρα ρετν χοντι; Κα δ κα τνι θε; ». Les traductions de ce traité sont empruntées à O’Meara, Plotin, Traité 19, Sur les vertus. 

[40] S’il était possible d’attribuer des vertus civiques de gouvernance à l’âme du monde, ces vertus, ainsi que celles des humains qui s’en inspirent devraient toutes deux être des images de vertus idéales qui se trouveraient en Dieu, et l’aporie subsisterait, puisque de telles vertus impliqueraient les notions de désir, de raisonnement, de passion, et l’art de diriger et d’être dirigé, ce qui ne peut aucunement caractériser l’intelligible.

[41] KALLIGAS, The Enneads of Plotinus, p. 32: «Aristotle had remarked, in a celebrated passage of the Nicomachaean Ethics (X 8, 1178b8–18), that the gods could not be held to possess virtues such as justice, courage, self-control, etc., given that the “activity” (energeia) of the gods is not “practical” (praktikê), but “theoretical” (theôrêtikê). » 

[42] Voir KALLIGAS, The Enneads of Plotinus, p. 131 et suivantes.

[43] KALLIGAS, The Enneads of Plotinus, p. 133: « Such an eventuality would leave the whole of his ontology exposed to the problem of the “third man” argument that Plato himself had so opportunely identified (Prm. 132d5–133a5). Accordingly, P. rejects this likelihood, introducing instead the notion of hierarchical assimilation, which allows him simultaneously to retain the model–image analogy for the relation of the intelligible to the perceptible, while denying that the virtues are present at the superior level.»

[44] 1.29-38: «οδν κωλύει, κα μὴ πρς ρετς ὁμοιουμένων, ἡμᾶς τας ατν ρετας ὁμοιοσθαι τ μὴ   ρετν κεκτημέν. Κα πῶς; δε· ε τι θερμότητος παρουσί θερμαίνεται, νάγκη κα θεν θερμότης λήλυθε θερμαίνεσθαι; Κα ε τι πυρς παρουσί θερμόν στιν, νάγκη κα τ πῦρ ατ πυρς παρουσί θερμαίνεσθαι; λλ πρς μὲν τ πρότερον εἴποι ν τις κα ν τ πῦρ εναι θερμότητα, λλ σύμφυτον, στε τν λόγον ποιεν τ ναλογί ἑπόμενον ἐπακτν μὲν τ ψυχ τν ρετν, κείν δέ, θεν μιμησαμένη χει, σύμφυτον. » 

[45] Nous suivons ici la formalisation proposée par Kalligas, The Enneads of Plotinus, en pages 136-137.

[46] 1.41-50: « νν δ τερον μὲν κενο, τερον δ τοτο. Οδ γρ οκα ασθητ τ ατ τ νοητ, κατοι ὡμοωται· κα τξεως δ κα κσμου μεταλαμβνει οκα ασθητ κκε ν τ λγ οκ στι τξις οδ κσμος οδ συμμετρα. Οτως ον κσμου κα τξεως κα ὁμολογας μεταλαμβνοντες κεθεν κα τοτων ντων τς ρετς νθδε, ο δεομνων δ τν κε ὁμολογας οδ κσμου οδ τξεως, οδ´ ν ρετς εη χρεα, κα ὁμοιούμεθα οδν ττον τος κε δι´ ρετς παρουσαν. »

[47] 2.4-10 « (…) πισημηνμενοι ς μοωσις διττ· κα μν τις τατν ν τος μοοις παιτε, σα πσης μοωται π το ατο· ν ος δ τ μν μοωται πρς τερον, τ δ τερν στι πρτον, οκ ντιστρφον πρς κενο οδ μοιον ατο λεγμενον, νταθα τν μοωσιν λλον τρπον ληπτον ο τατν εδος παιτοντας, λλ μλλον τερον, επερ κατ τν τερον τρπον μοωται. »

[48] 11-13 : «L'homme qui existe dans l'Intelligence divine constitue l'homme supérieur à tous les hommes. Il illumine le second [l'homme raisonnable], qui à son tour illumine le troisième [l'homme sensitif] » (« κα ν ν νθρωπος τν πρ πντων τν νθρπων νθρωπον. λλμπει δ´ οτος τ δευτρ κα οτος τ τρτ·» ). Voir sur ce point HUNT, Plotinus Meets the Third Man, p. 129-131.