Les effets de la crise du covid-19 et des mesures de confinement sur le bien-être des enfants confiés à  la protection de l'enfance

The effects of the Covid-19 crisis and those of the confinement measures on the well-being of children entrusted to the protection of children

Os efeitos da crise da Covid-19 e das medidas de confinamento sobre o bem-estar das crianças confiadas à proteção da infância

Emmanuelle Toussaint

Université de Nantes. Nantes, França.

emmanuelle.toussaint@univ-nantes.fr - https://orcid.org/0000-0003-4514-6727

 

Daniel Rousseau

Université de Nantes. Nantes, França.

 

Recebido em 07 de novembro de 2021

Aprovado em 22 de fevereiro de 2022

Publicado em 16 de abril de 2022

 

RESUME 

A partir du 16 mars 2020, le confinement instauré en France pour ralentir la propagation de la pandémie de COVID-19 a eu une portée considérable. Les pouponnières, comme l’ensemble des autres institutions sur le territoire français, ont dû se réorganiser en cette période sanitaire inédite. L’objectif de cet article est de rendre compte des effets de la crise du covid 19 et notamment des mesures de confinement sur le bien-être des très jeunes enfants confiés à la protection de l'enfance. Les résultats de cette étude exploratoire révèlent certaines caractéristiques communes des impacts de la pandémie sur les enfants confiés et leur bien-être relationnel tout en envisageant plusieurs facteurs de risque ou de protection. Enfin, les implications de ces résultats pour la recherche et la pratique sont discutées. Comprendre en quoi le confinement a modifié les pratiques, et comment  celles-ci se sont révélée bénéfiques pour améliorer le bien-être  des enfants protégés permet d’identifier des facteurs ou leviers d’interventions favorables à la santé mentale et au bien-être de ce public aux besoins spécifiques.

Mots clés: Confinement Covid-19; Pouponnière; Protection de l’enfance.

 

ABSTRACT

From 16 March 2020, the confinement established in France to slow the spread of the COVID-19 pandemic had considerable implications. The host institutions, like all other institutions in The French territory, had to reorganize themselves in this unprecedented sanitary period. The aim of this article is to report the effects of the crisis of covid 19 and, nod. The results of this exploratory study reveal certain common characteristics of the impacts of the pandemic on children entrusted to foster care institutions, and their relational well-being, considering various risk or protective factors. Finally, we discuss the implications of these results for research and practice. Understanding in which confinement has changed practices, and how they have proved beneficial to improve the well-being of protected children, allows identifying the factors or intervention strategies favorable to the mental health of this public with specific needs.

Keywords: Confinement Covid-19; Host institutions; Child protection.

 

RESUMO

A partir de 16 de marco de 2020, o confinamento instaurado na França para retardar a propagação da pandemia de COVID-19 teve implicações consideráveis. As instituições de acolhimento, como todas as outras instituições do território francês, tiveram que se reorganizar nesse período sanitário inédito. O objetivo deste artigo é relatar os efeitos da crise do covid 19 e, notadamente, das medidas de confinamento sobre o bem-estar das crianças pequenas confiadas à proteção da infância. Os resultados desse estudo exploratório revelam certas características comuns dos impactos da pandemia sobre as crianças confiadas às instituições de acolhimento, e seu bem-estar relacional, considerando vários fatores de risco ou de proteção. Por fim, discute-se as implicações destes resultados para a pesquisa e para a prática. Compreender em quê o confinamento modificou as práticas, e como elas se mostraram benéficas para melhorar o bem-estar das crianças protegidas permitem identificar os fatores ou estratégias  de intervenção favoráveis à saúde mental desse público com necessidades específicas.

Palavras-chave: Confinamento Covid-19; Instituições de acolhimento; Proteção à infância.

Introduction

La Covid-19 a été qualifiée d'urgence de santé publique par l'OMS le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Sa propagation a conduit à prendre des mesures sans précédent pour faire face à l'épidémie. En France, avec l'accélération rapide de la contamination, le gouvernement annonce un confinement national le 16 mars 2020. Il implique la restriction des déplacements et des sorties. Le 11 mai 2020 les mesures de confinement ont été progressivement levées. Ce confinement de 2 mois a eu un impact massif sur la vie des enfants entrainant fermeture des écoles, arrêt des activités extrascolaires ainsi que des soins pédopsychiatriques et spécialisés. L'enseignement à distance a été mis en place pour tous les élèves. Les enfants sont restés à la maison avec leurs parents, sans contacts quotidiens avec leurs amis et avec l'interruption des routines habituelles. Les parents ont dû s'adapter à l'évolution de leurs conditions de travail avec la présence de tous à la maison à temps plein.

Devant les inquiétudes concernant la santé mentale des enfants et des adolescents suscitées par la situation liée à la pandémie et au confinement, quelques études ont cherché à en mesurer l'impact psychologique. Certaines ont mis en évidence une augmentation des symptômes et signes de mal-être chez les enfants (RACINE et al, 2020). Le confinement a occasionné des difficultés supplémentaires pour les enfants confiés aux services de la Protection de l’Enfance. Rappelons que dans la plupart des pays développés, un enfant en danger peut, sous certaines conditions, être placé, c'est-à-dire être retiré de son milieu familial pour le protéger d'un environnement dysfonctionnel, marqué par la négligence, l'abandon,  le manque de réactivité émotionnelle et l'accumulation d'événements traumatiques tout au long de l'enfance (ACE) ce qui a des conséquences sur les plans physique, émotionnel, développemental et sur la santé tout au long de la vie. Ces enfants ont de ce fait des besoins importants en matière de santé mentale ou de scolarité. Ces enfants, accueillis en institution ou en famille d’accueil, ont connu un arrêt brusque des prises en charges de soins et des droits de visites et/ou d’hébergement avec leur famille en plus des limitations communes à tous. En contrepartie, ils ont bénéficié d’une prise en charge exclusive et continue de l’assistant familial ou des professionnels de l’institution. Quelques auteurs ont ainsi attiré l'attention sur leur vulnérabilité accrue et sur le fait que les mesures de lutte contre la pandémie étaient susceptibles d’amplifier les inégalités chez ces enfants (TIRIVAYI et al.  2020 ; GOLDMAN et al, 2020 ; JONES et al., 2020; WILKE, HOWARD et POP, 2020) et en particulier pour les enfants les plus à risque de développer des problèmes de santé mentale (SILLIMAN COHEN, 2020). Des préconisations ont également étés faites afin d’atténuer les impacts de la réponse à la pandémie de COVID-19 sur les enfants placés dont notamment la nécessité de mettre en place de nouvelles options virtuelles pour assurer les droits de visite parentaux (WONG et al, 2020).

Pourtant, lorsque nous examinons la littérature internationale concernant les enfants placés depuis le début de la COVID-19, il y a un manque frappant de recherches sur la santé mentale et le bien-être des enfants protégés. Une étude conduite par Vallejo-Slocker et collaborateurs (2020) a concerné 459 enfants et adolescents protégés en Espagne (enfants placés en institution et en famille d'accueil ou enfants de familles à risque et bénéficiant d’un suivi). Les évaluations réalisées au moyen du SDQ (pour mesurer les problèmes d'intériorisation et d'extériorisation) ont montré une aggravation comparativement aux résultats de références espagnole de 2017. En revanche, aucune différence n’apparaissait au niveau de la qualité de vie évaluée au moyen du KIDSCREEN-10. Une seconde étude espagnole par questionnaire auprès de 4073 enfants âgés de 10 à 17 ans accueillis en établissement relevant de la protection de l’enfance ont mis en évidence un niveau de bien-être subjectif significativement plus élevé (tels que la qualité de la relation avec les professionnels ou les activités de loisirs réalisées) permettant de soutenir différentes propositions d'interventions (MONTSERRAT et al, 2021). Enfin, une étude qualitative plus restreinte a cherché à appréhender  le vécu du confinement auprès de 32 enfants en institution en Afrique du Sud (HAFFEJEE et LEVINE, 2020).

En France, quelques organismes de protection de l’enfance, (ONPE, 2020 ; ODAS, 2020 ; ODPE 59, 2020) se sont engagés dans des démarches de « retour d’expérience » liées à la gestion de la crise sanitaire pour en restituer des éléments d’analyse et d’enseignement. Plusieurs catégories d’acteurs professionnels ont été interrogées à partir de questionnaires en lignes principalement. De plus, trois recherches (CHAPON, 2020;  GAULTIER et al, 2021; VANDENTORREN et al, 2021) ont étudié l’impact du confinement sur les enfants confiés en familles d’accueil. Des résultats convergents ont été mis en évidence. Les premiers concernent l’effet positif du confinement sur le rythme de vie des enfants avec une plus grande disponibilité des professionnels pour les jeunes accueillis et une augmentation des activités proposées aux enfants et adolescents pris en charge. Les seconds concernent la réduction de la fréquence des liens parents-enfants et leur forme plus distanciée, ce qui a eu un effet d’apaisement chez certains. Le plus surprenant est la perception d’un mieux-être chez un grand nombre d’enfants placés durant cette période de confinement, un vrai contraste avec des résultats d’études constatant une dégradation de l’état psychologique chez les enfants et adolescents en population générale, alors même que les enfants placés présentent une importante altération de la santé mentale du fait d’antécédents de maltraitances et négligence (BRONSARD et al, 2016 ; TOUSSAINT et al, 2018 ; ANDREOPOULOU et al, 2020). Ces résultats rejoignent ceux d’autres études ayant montré pour certains enfants des effets positifs liés au confinement (BRUINING et al, 2021 ; LAVENNE-COLLOT et al, 2021).

 

Problématique

 

Le déclenchement soudain de la pandémie et les mesures de confinement ont généré pour adultes et enfants une situation inattendue qui a mis leur bien-être à l'épreuve. La plupart des recherches publiées dans le domaine de la santé mentale et du bien-être liés à la pandémie et/ou au confinement concernent les adultes et parfois les enfants en population générale (RACINE, 2020). On dispose de très peu de données sur la manière dont les enfants protégés, en particulier les très jeunes enfants, ont vécu cette situation exceptionnelle. Notre question de recherche vise donc à documenter les impacts favorables ou défavorables de cette crise sanitaire sur le bien-être et la qualité de vie des enfants protégés et des adultes qui les prennent en charge. Ce retour d’expériences peut fournir des éléments-clés pour une amélioration des pratiques au-delà de la crise du COVID-19. 

 

Méthodologie

 

Recueil des données

 

Cette recherche s’adressait aux pouponnières sociales ou établissements relevant de la protection de l’enfance et accueillant des enfants de moins de 5 ans. Le protocole se présentait sous la forme d’un questionnaire papier concernant les effets du confinement sur le quotidien et le bien-être des enfants au sein des pouponnières. Les questions, ouvertes et fermées, comportaient des informations générales sur l’établissement et les conditions de confinement, le quotidien des enfants, leur bien-être durant le confinement, les contacts avec les familles, le vécu du confinement par les professionnels.

Les participants ont été invités à répondre notamment aux questions suivantes : Quels moyens ont-ils été utilisés pour les échanges familiaux (et avec qui) pendant le confinement ? Quels effets de ces moyens avez-vous observés ? Quelles ont été les activités faites par/avec les enfants pendant le confinement et leur fréquence (moins fréquentes, aussi fréquentes, plus fréquentes) ? Quels effets positifs ou négatifs de ces activités avez-vous observés ? Avez-vous mis en place une organisation particulière de vos journées avec les enfants pendant le confinement ? ...

Pour l’évaluation du bien-être une échelle a été construite, inspirée du questionnaire générique de santé mentale développé par Ebesutuani et al. (2012). Dans cette version adaptée, huit items évaluent l’affectivité positive et négative avec les mots : actif, joyeux, heureux, fier d’eux et plein de vie, triste et malheureux, peureux et angoissé, et en colère. Les professionnels étaient invités à dire comment selon eux les enfants se sentaient en général (durant le confinement). Les choix de réponse sont présentés à travers une échelle de Likert en 5  points.  Les  réponses  proposées  sont  :  « pas  du  tout »,  « un  peu »,  « moyennement », « beaucoup » et  « extrêmement ». Dans ce contexte, les scores étaient à visée descriptive, afin de permettre d’essayer d’objectiver la perception des professionnels concernant les affects manifestés par les enfants.

 

Participants

 

Cette enquête exploratoire, réalisée sur une période très courte, a concerné 8 établissements avec une capacité d’accueil totale de 149 enfants. Les ¾ de ces établissements accueillent des enfants de 0-3 ans et ¼ des enfants de 0-6 ans. Chacune des pouponnières dispose au moins d’une cours, d’un parc ou d’une aire de jeu extérieur. Concernant spécifiquement la période du confinement, si dans une pouponnière le nombre d'enfants accueillis y a été réduit, dans plus d’un tiers des autres il a été supérieur à leur capacité d'accueil. On remarque une forte variabilité du turn-over des professionnels. Dans la majorité des établissements, le taux de remplacement des professionnels (pour maladie, vulnérabilité de santé, …) s’est situé entre 0 et 20 %. Par contre, dans  d’autres, plus de 80% de l’équipe a été temporairement renouvelée pendant cette période. Soit autant d’inconnu(s) pour les enfants… et les professionnels restant en poste. 

 

Résultats

 

Le bien-être des enfants

 

Les émotions positives et négatives ressenties dans le quotidien déterminent en grande partie le bien-être des enfants accueillis. Les professionnels ont été interrogés sur les affects (positifs et négatifs) exprimés par les enfants pour savoir, au cours de ces semaines, comment les enfants leurs sont apparus : plus ou moins angoissés, peureux, tristes, malheureux ou alors actifs, fiers d’eux, contents, joyeux, plein de vie, heureux. Dans l’ensemble, les enfants semblent présenter davantage d’affects positifs, laissant à penser qu’ils ont vécu sans trop de mal cette période de confinement : ils se sont sentis plutôt bien, et semblent avoir eu du plaisir dans leur vie au quotidien. En ce qui concerne les affects négatifs tels que l’angoisse, la peur, la tristesse et le fait d’être malheureux, de manière assez surprenante, les professionnels n’ont pas perçu les enfants comme particulièrement angoissés ou apeurés. Par contre certains ont été affectés par des éléments plus périphériques : « le port des masques par les professionnels », « l'ambiance anxiogène de l'équipe », la présence de nouveaux personnels et donc une perte de repères. Par ailleurs de nombreux enfants ont pu manifester de l’angoisse du fait de la suspension des visites parentales. La tristesse des enfants a fortement été identifiée par les professionnels comme liée à l’arrêt brutal des contacts avec les familles et l’éloignement d'avec la famille. Les enfants plus grands ont pu verbaliser leur peine « autour de l'absence de visites parentales ou fratrie ». La diminution des contacts physiques (calins) dans les relations au quotidien semble également avoir été source de souffrance, ce qui se serait exprimé par de la « violence physique exacerbée chez certains enfants », et par beaucoup de cris, de pleurs. Qu’elle soit perçue dans sa dimension positive « plein de vie », ou défensive (hyper)actif, l’énergie physique des enfants en cette période particulière est apparue comme particulièrement élevée. Ainsi, les enfants ont été perçus par les professionnels comme « très actifs et enjoués » ou comme très actifs car ils ne pouvaient pas  « se défouler à l'extérieur ». Les réponses qui reviennent en plus grande proportion rendent également compte d’enfants « plein d'énergie mais très énervés », « agités » (du fait de l’arrêt brutal de l'école, des visites, des hébergements), « déboussolés », « ils n'en pouvaient plus, surexcités, bruyants, à bout de nerfs ». En ce qui concerne les affects positifs exprimés par les enfants, alors que certains enfants étaient perçus comme étant joyeux « comme habituellement », d’autres professionnels ont observé davantage de joie que d’ordinaire : les enfants exprimaient « leur bonheur par leurs rires et leurs sourires », les plus petits ont manifesté « une joie de vivre (sourires, gazouillements…) ». Certaines équipes ont pu associer ces émotions positives de joie-bonheur au fait qu’il y avait « plus de proposition d'activités », un « rythme de vie plus serein », que le partage des « apprentissages scolaires avec les adultes donneurs de soins a été vécu de manière positive par les enfants scolarisés (cela n'avait pas lieu avant) ».  A noter que la fierté est l’état affectif des enfants qui a suscité le moins de commentaires. Une équipe a pu souligner cependant que « les plus âgés ont été très fiers d'apprendre le lavage des mains "technique" et d'élaborer avec leurs mots l'explication du "coronavirus" ». Au regard de l’importance de l’estime de soi tant comme déterminant du bien-être que comme moteur du développement, les (faibles) réponses des équipes à cet item interrogent : est-ce un effet du contexte (confinement) ? Un domaine des compétences conatives des enfants peu pris en compte ?...

 

Les activités et l’organisation au quotidien

 

Pour les activités réalisées au quotidien, les résultats montrent que les enfants ont bénéficié d’une augmentation de l’ensemble des activités. Les professionnels remarquent combien cela a été bénéfique pour les enfants en terme de développement : progrès au niveau moteur (motricité fine en particulier), langagier, fonctions exécutives (plus d'attention et de concentration des enfants), …

Les effets négatifs rapportés sont de deux sortes. Les premiers concernent la suppression des activités dans des lieux hors établissement et d’autre part, la suppression des activités portées par des partenaires extérieurs. Les seconds concernent les répercussions selon les établissements de l’absentéisme des professionnels du quotidien et des modalités de réorganisations qui ont pu être mises en place avec une diminution des temps dévolus aux activités en individuel, et davantage de temps d’activité en grand groupe.

 Les ¾ des pouponnières ont modifié l’organisation au quotidien durant la période du confinement. De manière générale, la suppression de fait de toutes les contraintes extérieures (RDV médicaux, visites parentales, …) qui venaient mettre sous tension le déroulé des journées des professionnels et des enfants, a permis la mise en place d’organisations plus souples et respectueuses du rythme des enfants. Plusieurs équipes ont insisté sur le fait que l’organisation de l’institution étant modifiée, celle-ci s'imposait moins à l'enfant, et par contrecoup, l’organisation de leur quotidien était plus proche des besoins des enfants. De plus, elle était régulièrement réévaluée en fonction des évolutions et besoins des enfants. La disponibilité des professionnels, la continuité des soins, la centration sur les besoins et les rythmes des enfants sont apparues de manière centrale voire récurrente dans les réponses. Les professionnels ont souligné l’effet positif du confinement sur leurs pratiques professionnelles en leur permettant d’avoir davantage de disponibilité physique et psychique. Cela leur a permis de réaliser une meilleure observation du potentiel de chaque enfant ainsi que de l’évolution de leurs compétences et capacités. Un accompagnement éducatif renforcé a pu être instauré selon les situations (accompagnement des émotions…)

Il est important de relever que, à l’inverse, dans quelques établissements, les difficultés institutionnelles importantes semblent avoir eu un retentissement massif en terme de souffrance à la fois des professionnels et des enfants.

 

La qualité de vie au travail des professionnels 

 

Il est intéressant de noter que, selon les professionnels, le confinement a eu un impact très positif sur leur qualité de vie au travail. Les éléments y ayant contribué sont le renforcement de la cohésion d'équipe, la satisfaction au travail du fait de la possibilité d’offrir une meilleure réponse aux besoins des enfants et d’un rythme plus centré sur l'enfant, le sentiment d’être avec les enfants dans une "bulle protectrice", la mise en place de renfort en personnels permettant une meilleure prise en charge des enfants. Pour autant, plusieurs facteurs ont été identifiés comme ayant fortement impacté négativement la qualité de vie au travail. En premier lieu, apparaissent les angoisses des équipes par rapport à la situation : peur de la contamination du virus, craintes d’être un agent/vecteur de contamination pour ses proches, peur de contaminer les enfants accueillis, les collègues… Dans certaines pouponnières, pour pallier à l'absence de professionnels (personnes à risque, ou pour garde d'enfants) des volontaires extérieurs sont intervenus dans les unités de vie, changements soudains qui ont généré beaucoup d’insécurité et d’angoisse chez les enfants. Les équipes évoquent également le stress lié à de nouveaux protocoles ou à la désorganisation-réorganisation d’un jour à l’autre… Ces modifications incessantes ont constitué un facteur de fatigue psychique et physique important.

 

Les modalités de contact

 

Prévisible et appréhendée par l’ensemble des équipes, la suppression des rencontres et contacts physiques avec les parents a été à l’origine de détresse chez les enfants. Pour pallier à la suppression des visites ou hébergements, les moyens habituels de maintien du lien entre enfants et parents, ou toute autre personne significative (fratrie, famille élargie), ont été davantage utilisés : appels téléphoniques, courrier électronique avec envoi de photographies et de vidéos, rencontres physiques entre fratries accueillies au sein d’une même institution. Dans la mesure du possible d’autres ont été maintenues : courrier postal, colis. Les professionnels notent la « joie manifestée par les enfants à la réception des colis et des courriers ». En outre, une nouvelle modalité de contact a été développée dans presque tous les établissements : l’usage des appels en visioconférence de type Skype, Zoom, WhatsApp. Ce nouvel outil a permis le maintien des contacts, malgré le confinement. Des effets positifs ont été observés particulièrement pour les enfants les plus âgés (à partir de 16/18 mois), même si le manque de contacts physiques pouvait être vécu difficilement pour certains. Toutefois, la possibilité de voir leurs parents pendant les appels visio a été, pour ces enfants, plus bénéfique que l'appel téléphonique simple. En revanche, les professionnels ont observé que ce média semblait inaccessible aux enfants de moins de 1 an. Enfin, Les professionnels soulignent la nécessité que les moments de contacts (via le téléphone ou la visio) soient réfléchis et organisés comme le sont d’ordinaire les temps de visite : dans un lieu dédié, avec toujours le même accompagnant afin de faciliter la mise en place de repères pour l'enfant et de permettre un temps de partage avec le professionnel autour des émotions suscitées.  De plus, certains enfants se sont révélés peu à l'aise au téléphone et/ou en visio, c’est pourquoi le rôle du professionnel qui accompagne l'appel a paru primordial. Enfin, le confinement a permis de mettre en exergue que la diminution des contacts a pu apaiser certains enfants, puisqu’ils ont pu réagir fortement à la reprise des visites sous la forme de signes de mal-être perceptibles. Cette observation a permis de repenser les axes d’accompagnement autour de la relation parents-enfant et notamment des modalités de contact.

 

Discussion

 

L'épidémie de COVID-19 a nécessité la mise en place de mesures drastiques pour garantir la distanciation sociale dans le monde entier. Les règles sanitaires et le confinement ont modifié les pratiques organisationnelles.  Les institutions et les professionnels ont été mis au défi de s’ajuster dans l’urgence. La présente étude visait à examiner les effets du confinement sur le bien-être des enfants accueillis en pouponnière. Au-delà des effets directs du confinement sur les enfants, différentes variables étaient susceptibles de constituer des facteurs de risque ou de protection pour les enfants. Cette discussion reprend les résultats de notre étude mais également ceux de plusieurs études françaises qui ont étudié les effets du confinement sur le vécu des enfants confiés (ODAS, 2020; ODPE 59, 2020; CHAPON, 2021; GAULTIER et al, 2021; VANDENTORREN et al, 2021). Bien que ces résultats ne puissent être considérés comme représentatifs de l'ensemble des jeunes et des professionnels, ils donnent un aperçu précieux des expériences des professionnels et des enfants eux-mêmes, accueillis dans différents contextes : en famille d'accueil et en institution (dont les pouponnières à caractère social, population peu étudiée).

Le confinement a perturbé le quotidien des professionnels, des parents, et des enfants accueillis en protection de l’enfance, avec des conséquences négatives prévisibles mais aussi, contre toutes attentes, des effets positifs. Un des résultats intéressant de l’étude concerne l'amélioration de l'état affectif d'une grande partie des enfants placés, mais pas de tous, avec des différences contrastées selon les établissements. Les résultats mettent en exergue une grande diversité dans les expériences des enfants. Le confinement a exacerbé les désavantages et inégalités structurelles et ainsi affecté le bien-être des enfants accueillis.

Contrairement à ce qui pouvait être craint au regard de la symptomatologie importante des enfants placés (BRONSARD et al, 2016; TOUSSAINT et al, 2019 ; ANDREOPOULOU et al, 2020), un apaisement des enfants et une diminution des symptômes ont été observés. D’autres auteurs ont également noté que les enfants étaient perçus par les professionnels comme moins anxieux et moins stressés (ODAS, 2020; CHAPON, 2021), et pour certains une amélioration du sommeil et du comportement a pu être observée (CHAPON, 2021). Un des facteurs susceptible d’avoir contribué au bien-être des enfants concerne l’état d’esprit des adultes et leur capacité à réguler leur propre anxiété. Les professionnels ont été soumis à plusieurs facteurs de stress qui ont brutalement perturbé leur vie quotidienne : travail en dehors de leur domicile, réorganisation rapide des horaires et des modalités de travail ; climat anxiogène face au risque de contagion pour eux, leurs proches et les enfants placés ; tout en s'occupant de leurs familles et en assurant l'enseignement de leurs propres enfants, sans soutien extra-familial. Pour autant, nombreux sont ceux à rendre compte d’une meilleure qualité de travail durant le confinement. Il est reconnu que dans des circonstances difficiles, lorsque les parents arrivent à sécuriser l’enfant et à lui expliquer la situation, ce dernier est moins susceptible de présenter des symptômes et a un meilleur niveau de bien-être psychologique (DIAB et al, 2019; TANG et al, 2020). À l’inverse, la détresse parentale augmente le stress ressenti par l’enfant ce qui, à son tour, peut également affecter le comportement de l'enfant (ROMERO et al, 2020; RUSSELL et al, 2020; XU et al, 2020). Dans notre étude comme dans d’autres études française, le sentiment d’isolement des professionnels ou à l’inverse la solidarité et le soutien perçu apparaissent comme des facteurs défavorables ou favorables à l’évolution de l’enfant (GAULTIER, 2021; VANDENTORREN et al, 2021)

Une autre explication possible à ce constat pourrait être le fait des changements structurels et fonctionnels qui ont été mis en place dans les pouponnières durant le confinement : une meilleure adaptation au rythme des enfants, davantage de propositions d’activités et de temps partagés, un fonctionnement plus routinier et la diminution « des intrusions des personnes extérieures » aux services. Ces résultats sont retrouvés dans les autres études françaises (ODPE 59, 2021; CHAPON, 2021). En outre, les enfants et adolescents pris en charge par la protection de l’enfance faisaient état de plus d’activité pendant le confinement que les enfants en population générale (VANDENTORREN et al, 2021) ou avant le confinement (MONTSERRAT et al, 2020) avec davantage de temps pour parler ou jouer, jouer à des jeux de société, cuisiner. Or, ces stratégies sont conformes à la plupart des préconisations (UNICEF, 2020) qui ont souligné l’importance du maintien des routines et de la structuration des activités quotidiennes pour soutenir une adaptation positive des enfants. Nos résultats rejoignent également ceux d’autres études concernant l’état de santé mentale des enfants et adolescents suivis en psychiatrie infanto-juvénile ou ceux avec le trouble déficit d’attention/hyperactivité (BOBO et al, 2020; LAVENNE-COLLOT et al, 2021) en période de confinement. Ces études ont montré qu’une majorité des enfants et adolescents a connu soit un mieux-être soit un état général psychologique stable d’après leurs parents. Les auteurs font l’hypothèse d’une diminution de l’anxiété en lien avec notamment un rythme « sur-mesure » (BOBO et al, 2020). A l’inverse, dans notre étude, un fort turn-over des professionnels ou un manque de professionnels formés aux besoins des jeunes enfants était plus susceptible de conduire à un manque de structuration, de moindres réponses aux besoins émotionnels et à davantage de mal-être. Ces éléments se retrouvent dans autres études françaises soulignant l’effet positif du confinement sur le rythme de vie des enfants et la diminution des changements de lieux de vie (ODAS, 2020;  ODPE 59, 2021).

Un autre facteur concerne les modalités de contacts enfants-parents. Nos résultats, comme ceux de Neil (2020) au Royaume Uni, ont montré que certains enfants auraient été soulagés des appels vidéo plutôt que d’avoir des visites parentales, situation moins difficile à gérer que les rencontres en face-à-face. Ces résultats rejoignent le constat réalisé dans le cadre de l’enquête conduite par l’ODAS (2020) qui interroge sur la forme et la fréquence des modalités de maintien des liens. Le lien parents-enfant est unique, quelle qu’en soit sa qualité, et l’enfant reste fondamentalement attaché à ses parents. Un objectif de l’accompagnement, davantage encore pour un jeune enfant qui vient d’être séparé de sa famille pour sa protection, est donc de prendre soin de ce lien. Définir les modalités de contacts, leur fréquence et durée, en évaluer les effets sur les enfants, et réajuster, constitue donc un des objectifs de l’accompagnement. Ainsi que le rappelle Neil (2020), bien plus que le type ou la fréquence des  contacts, ce qui importe c’est la qualité de ce contact. En effet, les visites parentales présentielles peuvent replonger l'enfant dans la reviviscence d’événements traumatiques, dans le renouvellement de l'expérience du chaos ou d'interaction inadaptées. Cela implique également de pouvoir utiliser des outils d’observation fins des signes de souffrance de l’enfant et des dynamiques interactives parents-enfants lors des rencontres afin de pouvoir définir ce qui est le plus bénéfique pour l’enfant (en termes de fréquence, de lieu, de modalité d’échange, de présence de tiers et lequel …). De ce fait, l'usage de la visioconférence pour les rencontres familiales peut-être un outil précieux à intégrer dans les pratiques en protection de l'enfance comme modalité de relation en distanciel qui « rassure l'enfant sur le fait que le lien avec le parent est bien maintenu, mais sans qu'il soit exposé directement à des contacts souvent angoissants, et la sécurité de base est assurée simultanément dans la réalité » (BERGER, 2021 p XII). Des recherches supplémentaires sont toutefois nécessaires sur l’expérience des contacts numériques dans le cadre des visites médiatisées.

Un dernier facteur concerne la relation professionnels-enfants. Les professionnels attribuent en effet le bien-être des enfants au fait que le temps passé ensemble a permis de renforcer leur lien. Le fait d’être moins tributaire de contraintes externes, l’allègement ou la disparition de tâches administratives, d’accompagnement à des rendez-vous notamment médicaux a augmenté leur disponibilité et leur ont permis d’être davantage centrés sur les besoins des enfants. Ces résultats rejoignent ceux des autres études sur les enfants placés dans lesquelles les changements positifs observés chez les enfants sont, selon les professionnels, directement liés au temps qu’ils pouvaient leur consacrer alors que d’ordinaire ils sont emportés par le tourbillon et le stress du quotidien (GAULTIER, 2021) et au fait qu’ils ont pu se montrer plus disponibles pour les jeunes accueillis. De ce fait les liens ont pu se resserrer (ODAS, 2020). Ainsi, dans les cas les plus favorables, le confinement a rendu possible une prise en charge soutenue et étroite des enfants.  Cet aspect rejoint la perception des enfants eux-mêmes dans l’étude de Montserrat et collaborateurs (2020). Les adolescents placés interrogés ont noté que la relation avec les professionnels s'était améliorée durant le confinement. De plus, dans cette étude, un niveau de bien-être subjectif significativement plus élevé a été montré chez les enfants qui ont affirmé que les relations avec les professionnels s'étaient améliorées, et un niveau significativement plus bas a été trouvé parmi ceux qui ont déclaré n'avoir personne à qui confier leurs problèmes. Selon ces auteurs, en définitive, ces deux aspects renvoient à un enjeu central : se sentir pris en charge ou soutenu dans son parcours de vie, et il est donc essentiel que les aidants puissent proposer un modèle parental positif. Il s'agit également d'un enjeu-clé au regard de la littérature ayant mis en évidence l'importance des relations développées entre professionnels et enfants/adolescents sur le développement  psychosocial, le bien-être et la résilience  (TOUSSAINT et BACRO, 2021 ; FERGUS et ZIMMERMAN, 2005; MOTA et MATOS, 2015). La possibilité pour les jeunes de construire des relations satisfaisantes avec les professionnels au sein de l'établissement est fondamentale. Elles fonctionnent souvent comme une source de sécurité et de soutien face aux angoisses, peurs, attentes des enfants et adolescents (ZEGERS et al, 2008). De plus, ces résultats rejoignent également des études en population générale qui ont identifié que la qualité du soutien émotionnel des parents est un facteur de risque ou de protection  affectant la santé mentale des enfants pendant la pandémie. Ainsi, si certains enfants ont connu beaucoup de soutien de la part des parents et ont apprécié les bons moments passés ensemble, d'autres ont déclaré avoir été laissés seuls ou avoir dû faire face à des parents débordés (STOECKLIN, 2021).

 

Implications et préconisations pour la politique et la pratique : Des modifications structurelles pour la qualité de la relation professionnels-enfants

 

 Les résultats de cette étude concernant les effets du confinement sur le bien-être des enfants en pouponnière, et plus largement ceux des diverses études en France sur les enfants placés, ont permis de recueillir des données abondantes et détaillées sur la façon dont ces enfants (en institution ou en famille d’accueil) ont vécu cette situation et de mieux appréhender les facteurs susceptibles d’impacter leur bien-être. Les enseignements contre-intuitifs tirés de cette situation inédite (globalement ils ont plutôt profité du confinement) doivent permettre de comprendre comment mieux prendre en charge ces enfants en temps normal, hors confinement (GAULTIER, 2021) et offrent l'opportunité de faire progresser et d’améliorer les pratiques. Ces mineurs constituent une population particulièrement vulnérable : développement compromis du fait des expériences traumatiques auxquelles ils ont été confrontés qui sont à l’origine de la mesure de protection, auxquels s’ajoutent les traumas susceptibles d’être générés par la rupture, la séparation et le placement (BRONSARD et al, 2016 ; TOUSSAINT et al, 2019; ANDREOPOULOU et al, 2020). D’autres études ont également montré que la prise en charge en institution pour de très jeunes enfants était associée à des problèmes cognitifs, langagiers et moteurs (PEREIRA et al, 2010). Ces enfants ont donc des besoins multiples qui ont été précisés en France dans le rapport de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance (2017). Ce rapport pose que la satisfaction du besoin de sécurité, défini comme « méta besoin », doit ainsi être garantie dans tous les contextes de vie de l’enfant dont les lieux de suppléance de prises en charge. Cela implique de la continuité au niveau des lieux et des personnes, davantage de stabilité et de prévisibilité, et une meilleure prise en compte de leur rythme de vie afin d’éviter aux enfants de vivre une relation « hachée » par le quotidien (BERGER, 2021). Cela implique aussi de décharger les professionnels de taches (administratives, logistiques,….) préjudiciable à leur disponibilité auprès de l’enfant. Ainsi, dans plusieurs pouponnières, le confinement a eu un effet positif sur les organisations et pratiques professionnelles en permettant davantage de continuité et de disponibilité des professionnels. Ceci a eu un effet positif indéniable sur les enfants qui ont pu développer davantage leurs capacités d'attention et de concentration. L’expérience de sécurité associée à cette disponibilité attentive s’est traduite par une amélioration de leur capacité à investir les relations avec les autres enfants. Les professionnels ont aussi observé des groupes de vie plus sereins, une évolution positive de la plupart des enfants (acquisitions cognitives et motrices), des enfants beaucoup plus reposés, moins irritables, et qui avaient davantage de repères. L’ensemble de ces éléments rejoignent les conclusions de Stoecklin (2021) concernant l’aspect relationnel du bien-être, lequel résulterait d’un processus d'interactions de l'enfant avec son environnement.

D’autre part la théorie de l'attachement souligne l'importance d'un havre de paix et d'une base de sécurité fournis par des personnes significatives pour l'adaptation et le développement de l'individu (FORSLUND et al, 2021). Les résultats viennent conforter les connaissances issues notamment des recherches en attachement concernant l’importance de la qualité de la relation individuelle que l’enfant peut construire avec un/quelques professionnel(s) spécifique(s). Le confinement, par les réorganisations inédites qu’il a entrainées, est également venu mettre en exergue les conditions structurelles indispensables pour qu’une telle qualité de relation puisse se mettre en place, en particulier un faible nombre d'enfants par professionnel (VANDENTORREN et al, 2021), des activités partagées avec les professionnels et des rythmes et routines prévisibles. Ces éléments rejoignent les constats de nombreuses études (BAKERMANS-KRANENBURG et al, 2011; GROARK et Mc CALL, 2011; McCALL et al, 2016 ; GARCIA QUIROGA et HAMILTON-GIACHRITSIS, 2017) venues confirmer que la qualité de l’environnement institutionnel a une influence sur la relation enfant-professionnel, facilite l'apparition d'attachements sécurisés et soutient un meilleur développement de l’enfant. Ainsi, les environnements caractérisés par des niveaux appropriés de stimulation, de soutien au développement du langage, du matériel éducatif adapté et la variété des interactions d’éveil peuvent être l'occasion de développer des relations enrichissantes. L’ensemble de ces recherches ont donc montré que des modifications dans les institutions qui permettent une amélioration de la qualité des interactions entrainent des évolutions substantielles du développement physique, mental et socio-émotionnel des enfants. Cependant le ratio adulte-enfant est un facteur crucial. En effet plus le nombre d'enfants pris en charge par un seul professionnel est élevé, plus les opportunités de construire une relation de qualité sont susceptibles d'être réduites. Les résultats sur le bien-être des enfants en pouponnière pendant le confinement où un certain nombre de ces conditions se sont trouvées réunies viennent vérifier la pertinence de l’ensemble de ces travaux comme dans une expérience de laboratoire surprenante et bien involontaire.

 

Limites et recherches futures

 

Cette étude a été menée dans un échantillon de pouponnière, pendant la période aigüe du confinement, permettant d'examiner les effets du confinement sur les enfants et le travail des professionnels. Il est à noter qu’elle a eu lieu dans des circonstances inhabituelles du fait de la pandémie mondiale et les limites de l'étude sont liées aux contraintes de temps qui ont obligé les chercheurs à élaborer le protocole et collecter les données de manière très rapide. L’objectif était de saisir les expériences des professionnels et des enfants pendant la période la plus intense du confinement en France. Bien que les résultats de cette étude ajoutent à la compréhension des facteurs associés au bien-être des enfants confiés, dont la qualité de l’environnement et notamment des relations adultes-enfants, plusieurs limites doivent être prises en considération lors de l'interprétation de ces résultats. Premièrement, cette étude repose sur les perceptions et l’observation des professionnels concernant le bien-être des enfants et les altérations psychologiques et comportementales des enfants pendant le confinement comparativement à la situation pré-confinement. Si l’observation des professionnels présente un grand intérêt, d’autres données sont nécessaires en utilisant autant que possible des outils validés. Deuxièmement, l'échantillon a été sélectionné dans un contexte d'urgence correspondant également pour les institutions et les professionnels à une forte réorganisation, d’où la taille limitée de notre échantillon, ce qui peut limiter la généralisation des résultats. Ils invitent à réaliser  une étude impliquant davantage d’établissements et prenant en compte différentes caractéristiques structurelles et fonctionnelles. Enfin, si notre étude a l’avantage de tenir compte de la parole des professionnels, elle ne prend pas en compte le point de vue des enfants. Or des études sont également nécessaires pour mieux comprendre l’expérience de confinement des enfants et adolescents et le point de vue des enfants et adolescents eux-mêmes devrait être recherché. Les facteurs qui contribuent au bien-être des enfants sont différents de ceux qui sont importants pour les adultes, la prise en compte du point de vue des enfants et adolescents protégés est donc nécessaire afin d’améliorer les pratiques. Les futures études devront intégrer l’expérience des enfants bénéficiaires des mesures de protection et également comparer différentes tranches d'âge chez les enfants et les adolescents dans la mesure où l’expérience du confinement et ses conséquences sur la santé mentale et le bien-être sont susceptibles de différer selon le niveau de développement et l’âge des enfants.

Malgré ces limites, nous voudrions souligner l'importance de notre étude en ce qu'elle privilégie la prise en compte de la parole de professionnels peu sollicités, les professionnels de pouponnières, comme « locuteurs » des enfants les plus jeunes, ceux qui ne parlent pas encore. De plus, elle a permis de recueillir des retours d’expériences concernant la manière dont les institutions et les professionnels ont adapté leurs organisations et leurs pratiques dans ce contexte, afin d’envisager comment cela pourrait contribuer à l'émergence de nouvelles pratiques. Enfin, elle contribue à un corpus de littérature sous-étudiée dans le domaine de la recherche concernant le bien-être et la santé mentale des enfants et les adolescents placés en lien avec la pandémie COVID.

 

Conclusion

 

Les pouponnières sociales ont un rôle essentiel à jouer et doivent garantir que les besoins spécifiques des jeunes enfants soient assurés. En effet, bien qu’elle réponde à une nécessité de protection, la prise en charge collective en institution (pouponnière à caractère social) peut être particulièrement difficile pour un jeune enfant. Les résultats de cette étude devraient permettre une prise de conscience d’une part des défis auxquels ces très jeunes enfants doivent faire face au quotidien dans les pouponnières, et d’autre part, des axes d’améliorations qualitatives des conditions d’accueil nécessaires pour soutenir leur bien-être et leur développement. Cette pandémie offre une opportunité unique de repenser les pratiques au sein des institutions accueillant les bébés et jeunes enfants protégés. En effet, le confinement, en lien avec les recommandations actualisées relatives à la continuité d’activité et à l’exercice des missions d’aide sociale à l’enfance, a favorisé l’expérimentation accélérée de nouvelles pratiques organisationnelles qui ont permis un mieux-être des enfants. Aussi, cette étude, confortée par celles d’autres collègues conduites en France et par des recherches antérieures, met en évidence les conditions structurelles favorables à un meilleur développement et au bien-être des enfants confiés à la protection de l’enfance. Sur la base de ce qui précède, les résultats  permettent de soutenir des préconisations fortes afin de mieux adapter les pratiques professionnelles en protection de l’enfance et de réduire les inégalités de santé. Les constats soulignent l'importance de la qualité de la relation comme facteur de résilience. Or, les enseignements du confinement montrent que cette relation de qualité ne peut être possible que dans un environnement de qualité tant au niveau « micro », c’est à dire avec un faible nombre d'enfants par professionnels, de la continuité relationnelle et peu de turn-over, qu’au niveau « macro » avec des lieux et rythmes appropriés et un niveau de stimulation adapté. Les innovations en protection de l’enfance sont plus que jamais nécessaires afin d’améliorer la qualité d’accueil et de garantir une meilleure adéquation entre les aides apportées par les services de protection de l'enfance et les besoins des enfants concernés. Ceci dans l’objectif de soutenir le développement, la santé mentale et le bien-être des enfants, altérés du fait violences intrafamiliales subies.

Pour conclure on peut poser ce paradoxe que si le confinement a représenté une restriction des liens sociaux (scolarité, activités, liens avec les pairs et la famille élargie) plus ou moins bien vécue par les enfants vivant dans leur famille, cette situation inédite a constitué a contrario pour beaucoup d’enfants protégés l’expérience d’un îlot de sécurité dont ils ont tiré des bénéfices. En effet, ces enfants, qui ont été confrontés à des traumatismes et au stress, restent hypersensibles à l’insécurité du quotidien qui oblige à s’adapter sans cesse. Le confinement, quand il a été organisé dans des conditions rassurantes, a été l’occasion pour eux d’expérimenter une amélioration qualitative de leur prise en charge du fait de la meilleure disponibilité des professionnels, d’une réduction de la pression sociale en particulier scolaire, et d’une certaine mise à distance des vicissitudes de leur famille naturelle. Réduire les situations angoissantes et le stress constitue donc des objectifs à atteindre au quotidien pour améliorer la qualité de vie des enfants protégés et leur permettre de reconstituer leur confiance en eux-mêmes et dans les adultes.

 

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